Sujet: Pluie et Ruissellement Dim 20 Déc - 17:48 |
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Pluie
Il pleut. Il pleut comme rarement il a plut.
Un couple d'amoureux traverse la rue en courant, serrés l'un contre l'autre sous un parapluie. Elle porte des bottines cirées, lui des chaussures de ville un peu racornies. Ils auront sans doute les chaussettes trempées, si ce n'est déjà le cas. Mais qu'importe quand on s'aime... Médor, lui, s'est réfugié derrière un tas de cartons, l'estomac vide, il couine, décidément, ce n'est pas aujourd'hui qu'il trouvera de quoi se remplir la panse. Déjà hier, il avait du se contenter d'une carcasse de rat bien entamée. Les yeux rivés sur le caniveau, il rêve d'un feu de cheminée et d'un tapis moelleux où il aurait enfin le plaisir de se sécher les pattes. Non loin de là, c'est Gaspard, "l'Ivrogne avec un grand I" comme il s'est autoproclamé. Gaspard est un miséreux, mis à la porte comme tant d'autres lorsque l'usine où il avait toujours travaillé, a fermé ses portes. Cela fait un an maintenant que l'Ivrogne a drapé sa dignité dans une couverture rappée, et qu'il fait la manche à l'angle de la cinquième. Un carrosse passe et nous emmène deux rues plus loin. Les deux chevaux qui le tirent, ont des allures de fantômes tant ils sont squelettiques. C'est que Mme Rupin n'a plus les moyens aujourd'hui de s'encombrer de deux bestiaux. Le temps de la petite noblesse a passé, les multiples dettes de jeu ont eu raison de son pécule, si elle garde ce carrosse c'est uniquement pour faire bonne figure. Sur le trottoir la petite Lucie regarde passé la dame dans sa robe élimée. Ce qu'il est beau son carrosse! La petite fille a toujours rêvé d'être une princesse, et d'un jour, posséder un carrosse tirée par quatre chevaux aussi blancs que la neige. Seulement quand on s'appelle Lucie, et qu'on est fille de catin, le chemin est déjà tout tracé, on prendra la suite de Maman.
Pölhied est là. Qui voit tout, qui entend tout, qui sait tout. Immobile, elle a revêtu ses habits de poussières. Son corps fripé ne grelotte pas de froid, seuls ses doigts sont gelés. Refermés sur une cane de bois sombre, ils se crispent à chaque nouvelle rencontre, à chaque nouvelle histoire entraperçue. Un destin, une souffrance.
La pluie endosse son habit de lumière. Entre les traits fins et drus de son éternelle ritournelle, le soleil fait son apparition. Il caresse les maux, enchante les plus jeunes et redonne l'espoir aux plus âgés. Certains croient y voir la fin de l'averse quand d'autres connaissent Dame Nature et savent que l'accalmie n'est qu'une trêve passagère.
Le regard vide de Pölhied effleure la rue. Ses yeux morts pénètrent les cœurs, insufflent l'espoir à ceux qui n'en ont plus. En vain. La douleur est une habitude à laquelle on finit par prendre goût, un berceau moelleux où l'on aime s'endormir, une partie de soi qui englobe les autres. La plainte devient le lot quotidien, quand pour celle qui la recueille, elle est le fardeau d'une vie.
Une porte s'ouvre. Le dos voûté s'y engouffre. Un nuage cache le soleil. Un souffle de vent glacé s'insinue entre les murs épais des maisons et ceux moins épais des cœurs. Chacun frissonne, ressent le vide de leurs entrailles. On entend un pas à trois temps qui gravit les marches d'un escalier grinçant. Le bruit résonne dans les têtes comme s'il envahissait l'espace. Et soudain il s'arrête.
Sur les toits, une silhouette minuscule est apparue. Il n'y aura pas d'appel divin, pas de bras levés au ciel, pas de cris de désespoir. Il est fini ce temps. Il est fini comme tous les précédents. Le pathétique est révolu, il a laissé sa place à l'accoutumance, à la morosité latente. Pölhied s'assoit sur le rebord d'une cheminée. Ainsi elle domine le monde, ainsi elle s'en éloigne, se rapproche d'un autre monde. Celui qui l'attend, celui qui aurait du l'accueillir il y a de ça des centaines d'années.
Pölhied s'assoit et attend. La pluie cesse. Ne reste qu'un léger ruissellement.
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Pöhlied
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