Quand sonnent les matines... [ouvert]

Beaucoup s'en doutent depuis un bon moment.
D'autres se le cachaient pour y croire encore.

On a tenté plusieurs manoeuvre de réanimation?
Massage cardiaque, insufflation, et autre tripotage peu courtois.

Rien n'y a fait.

On s'est fait beaucoup de mal ces derniers temps.
Beaucoup de mal a s'acharner.

Le concept de Munuroe avait un potentiel, mais nous, avions nous vraiment la compétence …

Je repensais à ce que quelqu'un nous a dit en claquant la porte. D'ailleurs, un écho s'est glissé par la fenêtre après son départ en haussant les épaules et en dandinant du cul : Nous sommes fragiles et vacillants comme la flamme d'une bougie, trop instables pour qu'on y consacre son énergie créatrice.
C'est difficile de répondre à un écho. ça vient de loin, c'est aussi franc qu'un …

C'est une église, rien de plus qu'une église. Rien de plus qu'un bâtiment de pierre et de bois, aux angles sévères, aux allées grisâtres zébrant une pelouse sans éclat, à l'arbre unique et silencieux planté comme sorti directement de la pierre, au pied d'une volée de marches, marches parsemées d'accrocs, d'attrape-couillons comme on dit. Et rien de moins qu'un lieu de recueillement pour les habitants du village perché. Un endroit où des corps las et ternis par le doute, viennent échanger les peines et les maux de leurs âmes contre des offrandes ou des prières. D'autres viennent écouter parler les moines et prêtresses, et leurs discours leur sont souvent source de réconfort ou de remise en question. D'autres encore, s'y rendent par tradition, par simple réflexe, dans l'espoir de trouver quelque réponse ou lumière dans leur vie semblant si sombre, sans issue, couloir infini s'achevant irrévocablement par un cul-de-sac, mais en ignorent la méthode, si méthode il y a, et souhaitent simplement que poser le pied derrière la porte massive de l'église suffira à les soulager de leurs petits tracas et soucis majeurs.

Un bâtiment donc, construit par la main de l'homme, ou du tauren, ou de l'elfe, par le vivant et le physique, pour abriter l'illusion, l'espèrance ou le repentir. Un endroit dont personne ne rie, ou bien le fait discrètement, lorsqu'on lui tend une perche astucieuse pour cela, en compagnie des gens qui conviennent à ce genre de propos. Et pourtant, si Youtcha y a élu domicile, ce n'est ni par foi, ni à défaut de n'avoir rien trouvé d'autre.

C'est à cause de la cloche. La cloche qui marque les heures de son hurlement régulier, rythmique, fascinant, un peu effrayant. Elle a toujours aimé l'entendre. Elle a toujours aimé la regarder. S'orienter vers l'église grâce à sa mélodie, yeux fermés, sens en éveil, ressentir les ondes de la puissance sonore glisser sur ses ailes comment autant de vaguelettes aériennes, si vite dissipées, éphémère et pourtant revenant inlassablement à chaque coup, à chacune des paroles proférées par la cloche... Tout le monde, Youtcha la première, trouverait ennuyeux quelqu'un qui répète toujours la même phrase. Alors pourquoi s'était-elle éprise à ce point-là de l'appel du clocher ?

Parce que justement, pensait-elle, c'est un appel.

DONG...

Le soleil se lève sur l'église. La cloche lance, inlassable, intarissable, ses notes sans trémolos, comme pour saluer les rayons qui viennent l'éclairer.
Qui s'infiltrent par la lucarne taillée dans le mur épais du clocher.
Qui viennent chatouiller une chevelure étalée par terre, surmontant un corps allongé, petit, ailé.

DONG...

Qui dort, impérturbable, d'un sommeil de plomb, malgré les coups qui ébranlent le clocher comme le tonnerre et font trembler les lézardes des murs anciens.
La cloche fonctionne toute seule, à chaque heure, elle n'a pas besoin de bras pour l'activer et personne ne monte jamais dans le clocher, par le long escalier en colimaçon qui s'enroule au milieu de la tour carrée qui pointe au dessus de l'église. Non, les gens ont trop peur de la cloche, de son cri dévastateur.

DONG...

Mais Youtcha dort profondément.
Elle ne tardera pas à s'éveiller, dès que la cloche s'arrêtera.

...

Une petite silhouette vêtue de bleu bondit sur ses pieds, se précipite à la lucarne, attrape un éclat de ciment qui traîne sur le rebord de la fenêtre et le lance de toutes ses forces, un peu engourdies par le profond sommeil duquel elle venait d'émerger, vers le sapin le plus proche. Elle jette un cri perçant en même temps que son projectile.

- Mais ils peuvent pas respecter le sommeil des autres, ces oiseaux ?

Ah l'aube...
J'aime bien.
C'est calme.
C'est reposant...
Un peu humide mais tolérable, pour autant qu'on survole le sol d'assez loin...

J'aimetrop cette vieille église, on dirait qu'elle va crouler au moindre souffle, et pourtant ses cloches se dandinent et elle tient toujours debout... Comme quoi y'a des miracles...
C'est une promenade que j'aime faire, longer les vieux murs et laisser ma main traîner dessus et...

AIEUH !!!!!

Mais ça fait mal !!!
Et c'est pas tombé, j'ai entendu crier !
Si je tenais l'arsouille qui balance des bouts d'église je... je...

Ben je vais aller le choper, tiens ! Pour lui apprendre.

Vraooooom, montée en chandelle doit au-dessus, bingo, y'a une fenêtre ouverte et là...

Nan mais vous êtes pas bien ???

Touché ?
Pas touché ?
Les oiseaux continuent de siffler de toute la force de leurs poumons miniatures, qui au faîte de l'arbre, qui perché sur une branche. Humpf. J'préfère les matins d'hiver, quand les caduques sont déplumés, au moins on voit où on vise, au lieu de tirer vainement un pauvre caillou dans un tas de feuilles. Aussi efficace qu'une punaise lâché sur la cuirasse d'un Grub. Quoi, vous ignorez encore ce que c'est qu'un Grub ? Une grosse bestiole visqueuse avec deux minuscules jambes humaines et quatre pattes mi-tentacule mi-chitine ? Quel manque de culture.

Bonn.. pas touché, on dirait. Pas suffisamment pour apaiser l'envie qui m'électrise les élytres. C'est tellement sensible, cette partie-là, on peut lire dessus tout ce que j'ai dans le coeur. Et là, ouhla, ma parole, ça frémit, et violemment, et ça prend des reflets bleuâtres. M'est avis que le reste va pas tarder à suivre. C'est comme ça, parfois, je ressens comme un courant électrique, qui commence par les ailes, et qui se propage, et qui teinte en bleu toute la peau sous lequel il fourmille. Enfin, teinter, c'est manière de dire. Ca me rend pas les cheveux et la pigmentation couleur asphyxie. C'est comme une lueur, un reflet, fugace, un chatouillis coloré, un nimbe mouvant et subtil...Voyez-vous ça, je deviens poète même quand j'ai envie de massacrer des oiseaux. Je suis une perle.

Il me semble d'ailleurs que ces volatiles l'ont pas compris. On réveille pas les perles, surtout en couvrant le bruit de la cloche avec leurs piaillements. Je leur demandais rien, moi. C'est eux qui m'ont dérangée. Et ils continuent. Bien, ce n'est que justice, j'avais justement du ménage à faire dans le clocher.
Et passent joyeusement par dessus bord gravats, débris, copeaux, et et malencontreusement, Rita, la grosse araignée vivant dans le trou du mur, qui avait jugé malin de sortir voir d'où venait ce grabuge.

J'ai l'ouïe particulièrement fine. Un bruit retentit quelque part en bas.

- Touché !

Je tend l'oreille. Les derniers de mes projectiles n'ont pas dû encore atterir. Il est possible que...Bingo ! Un deuxième ! Et ce n'est pas tout, un petit détail s'ajoute à cela : une furie rouge entre comme un boulet de canon dans le clocher en vociférant.

- Coulé !!!

Ben quoi, elle peut admettre que mon tir était ajusté. J'ai même pas regardé où je visais. Je m'approche d'elle, on en voit que le haut derrière la lucarne.

- Vous avez une araignée sur le bord du chapeau.

Une sylph'.
Petite, bleue.
Mais très très bleue quand même... Hum.

M'en fous de la couleur, elle pourrait être violette à pois vert que ce serait pareil. On ne me bombarde pas quand je me promène le matin près de l'église. Non mais.

Et effectivement, je vois huit pattes poilues qui s'agitent, pas contente, la bestiole.

Je cueille le fil du bout du doigt et dépose le projectile vivant sur le bord de la lucarne. Pas sa faute.

Tout ça en vol stationnaire, ailes vrombissantes. Et en gardant l'air furibond et les dents serrées.
Quoique. Desserrons-les un poil.

Vous c'est au plafond que vous avez une araignée !
Ca va pas de balancer des cailloux d'une hauteur pareille ?
Ca fait mal !
C'est quoi, c'est un bête jeu ?
Si je défonce quelqu'un avant le dixième caillou je gagne un ptit dèj' gratis ?

Hé, nan mais l'aut', là...J'te jure...Ca démarre au quart de tour pour un malheureux débris même pas vivant. L'araignée, autant, je dis pas. Désolée, Rita, retourne dans ton trou, je t'apporterai un moucheron pour me faire pardonner. Non, un vrai moucheron, qui pompe le sang et tout, pas moi, ou pas la fille en rouge, nous, on est des moucherons, mais pas assez petits pour en être des vrais.
Hé, desserre un peu les dents, cocotte.
C'est qu'elle finirait par me faire hérisser les poils de la nuque et du desus des mains. Je les entend grincer d'ici, les dents, ça fait comme les ongles sur un tableau noir, impression fourchette-mal-maniée-au-fond-de-l'assiette-en-porcelaine.
Bon, ça va, elle desserre.
Enfin, façon de parler, mais en tout cas désormais, l'air peut rentrer dans sa bouche. C'est moi, la bleue, ici, non mais. Pas d'asphyxie dans mon clocher, ( ouais, MON clocher ! ) c'est vraiment pas pratique de faire monter le SAMU ici, et c'est pas tout les jours qu'il y a des sylphelins dans l'équipe.

J'ai le bleu qui pulse autour de moi, et en moi, dans mes veines. Bleu, moins bleu, normale, très bleu, bleu, et ça recommence. Assez flou pour qu'on se demande s'il existe réellement; mais pas assez pour qu'on ne croie à une simple illusion ou effet de lumière.

Je cueille Rita dans la main, me retourne tranquillement pendant que l'autre laisse libre cours à son...inspiration matinale..., vais déposer l'octopattes dans son trou où elle file se réfugier. Bon, au moins une de tranquille, dans l'affaire. Elle parle pas, d'où sa compagnie que j'apprécie.

- Allez Rita, retourne à tes affaires.

Grand sourire.

- Hééé, vous savez que vous êtes pas bête, vous !
Je devrais négocier ça avec le cureton. Je suis sûre qu'en échange d'entretenir sa cloche et faire taire les piafs, il me fournirait bien ça.
Non, sérieusement, vous entendez pas le raffut qu'ils font à une heure pareille ?
On entend même plus les matines sonner, pff.

Là pour le coup j'ai la mâchoire qui se décroche.
Nan mais elle a pas tout le câblage en ordre, elle, comme disait une naine de ma connaissance.
Même pas elle se rend compte qu'elle a failli m'assommer avec ses bouts d'église !
J'en reste comme deux ronds de patate.

Ses cloches moi je les ai entendues, de vachement loin, même.
Et elle... elle veut faire taire les oiseaux... pour entendre les cloches...
...

Ok, elle a un souci.
En plus, ce miroitement dans les bleus, forcé que c'est pas normal.
Ptêt qu'il vaut mieux pas la fâcher.
Hum.

Je pose une fesse au bord de la fenêtre, fatigue dans les ailes, le stationnaire c'est pas évident.

Dites...
Hum...

Idée.

Vous voulez qu'on aille se trouver un ptit dèj' quelque part ?

Pourquoi j'ai dit ça ?
Pasque j'la trouve comique même si elle est dingue et qu'elle a failli me tuer ?
Ptêt... ou alors pasqu'avec tous les fous dangereux qui sont dangereux exprès, une qui l'a pas fait exprès, ça change...

Mes mirettes s'écarquillent.
Aujourd'hui est vraiment un jour anormal...
Pour commencer, cette demoiselle en rouge se pointe à me fenêtre, alors que je ne reçois jamais de visites dans mon clocher, vu que personne ne sait que j'y crèche et que de toute façon je ne connais pas grand monde. Les gens évitent les églises tant que c'est pas l'heure de la messe, d'habitude, superstitions. Encore plus celles qui sont à moitié désertées, et que l'autre moitié est composée d'êtres que parfois les gens préfèrent éviter de croiser.
La demoiselle ( pourquoi je me plaît à l'appeler comme ça tout le temps ? Si ça se trouve, elle est mariée est mère de six gosses dont des triplés, c'est pas parce qu'elle n'est pas très vieille et qu'elle a une jolie figure que c'est une demoiselle... Je note : particularité des sylphelines : leurs hanches ne doublent pas de volume après chaque accouchement. Mais je m'égare...) se plaignait de quelque chose que j'ai préféré oublier, j'avais pas fait exprès, la question s'arrêtait donc ici.

Deuxième point qui me laisse complètement baba, voilà qu'à présent elle me propose d'aller prendre un petit-déj'...en sa compagnie... quelque part dans le coin. J'hallucine un chouïa, même si je le montre quasiment pas. C'est bien la première fois qu'on me demande ça... D'ordinaire les gens évitent de passer trop de temps avec moi, "loufoque", qu'ils disent. Y'en a qui ont peur de mon "bleu". Mais elle... Peut-être qu'elle se paye ma tête ?
Et pourtant, je suis sûre que non.
Je fais semblant, une demi-seconde, de réfléchir à sa proposition comme si ma réponse n'était pas d'ores et déjà décidée.

- Oh et bien...

Je souris, un peu timidement.

- Bien sûr, si vous avez faim. Je n'ai pas grand-chose ici...

Grand mouvement circulaire autour de moi.

- Enfin il y a bien les araignées de Rita, mais je doute que vos vouliez manger des araignées...Et puis comme leur nom l'indique, elles sont à Rita...

Par contre en cette saison, il y a , à peine à un quart d'heure de marche d'ici, un bonhomme qui tient une roulotte spécialisée dans le pain d'épices... Il vend d'autres choses aussi, mais je pense que vous devriez le goûter.

J'ai fait tilt sur "pain d'épices".
Parce que, faut admettre... C'EST TROP BON !!!!
Surtout tout chaud... légèrement craquant... avec un peu de beurre salé...
Merde, j'en salive.

Je vote pour le pain d'épices !
Un quart d'heure de marche, ça fait combien à tire-d'ailes ?
C'est que ça donne faim ce genre d'idées !

Vraom, j'ai foncé.
Et puis je me suis arrêtée.
Et puis je me suis retournée.
Et puis j'ai vu la petite bleue (c'est vrai qu'elle est petite), qui était toujours près de l'église.
Et puis je suis revenue.
Et puis j'ai eu l'air con.
Alors j'ai rougi.
Et j'ai dit :

Euuuuuh...
Et c'est par où en fait? ...

Wow !
Suffisait d'en parler, après tout. En voilà une qui crève plus la dalle que Rita au plus creux de l'hiver, quand les insectes et autres bébêtes qui la nourrissent se planquent bien au chaud aux abords de maisons plus douillettes que ne l'est mon clocher, avec ses lézardes et ses courants d'airs qui entrent sans frapper.
M'en fous, j'suis pas frileuse.
Et j'ai faim, moi aussi.
J'allais piquer une franche tête dans les trente-cinq mètres de vide qui s'étendent sous moi ( la jubilation de descendre tout schuss, tête en bas et ailes plaquées, pour ne les déployer qu'au dernier moment ! C'est grisant ! Et ça creuse... ) quand ma compatriote au chapeau rouge revient à tire-d'aile, l'air un peu confus.

Je réponds à sa question précédente, tout d'abord, celle qu'elle m'avait posée sans attendre la réponse avant de s'élancer à fond de train.

- Boarf, au rythme que vous avez l'air de tenir, si on part au premier coup de la cloche, on peut arriver avant qu'elle se taise !

Ben oui, mais la cloche, elle sonne pas ...
...
Abrutie.

- Et au fait... Vous étiez sur la bonne route, j'vous signale. Mais c'est pas grave que vous soyez revenue, le trajet est toujours plus beau quand on le fait deux fois, au retour on s'aperçoit des détails qu'on a pas vu à l'allée !

Et là, à cet instant-là, j'ai cru que j'avais peut-être un ange gardien qui veillait sur moi, ou plutôt une bonne étoile. J'aime pas trop les anges, avec leur gros cul et leurs joues roses qui ont l'air d'avoir une pomme greffée de chaque côté. Bref. Ô miracle.
La cloche, qui depuis peu fait des siennes et se met à tanguer à n'importe quelle heure, se met à sonner. Le coup de clairon. Le signal du départ.

Défenestration.
Coup d'aile salvateur, même si je ne me suis pas laissée tombée jusque très bas, je ne veux pas perdre de terrain...
Je hurle.

- T'es en train de perdre la course au pain d'épices !!!

Je me retourne , faute à ne pas commettre, mais trop tentante. Le pire comble du sprinteur. Elle a pas perdu de temps à sauter du clocher !
Grand sourire, je regarde droit devant moi, et fonce.

Sujet: Re: Quand sonnent les matines... [ouvert]