Cauchemar

Beaucoup s'en doutent depuis un bon moment.
D'autres se le cachaient pour y croire encore.

On a tenté plusieurs manoeuvre de réanimation?
Massage cardiaque, insufflation, et autre tripotage peu courtois.

Rien n'y a fait.

On s'est fait beaucoup de mal ces derniers temps.
Beaucoup de mal a s'acharner.

Le concept de Munuroe avait un potentiel, mais nous, avions nous vraiment la compétence …

Je repensais à ce que quelqu'un nous a dit en claquant la porte. D'ailleurs, un écho s'est glissé par la fenêtre après son départ en haussant les épaules et en dandinant du cul : Nous sommes fragiles et vacillants comme la flamme d'une bougie, trop instables pour qu'on y consacre son énergie créatrice.
C'est difficile de répondre à un écho. ça vient de loin, c'est aussi franc qu'un …

Sujet: Cauchemar Ven 27 Fév - 1:30

Assise sur le lit étroit, je halète. La chair de poule me hérisse tout le corps, une mauvaise sueur me baigne. Je regarde mes mains, dans la lueur blème de la lune. Elles tremblent.

J'entends un souffle précipité et gémissant, je sais que c'est le mien, mais je n'arrive pas encore à rassembler les morceaux de moi qui sont toujours épars dans le rêve, les mains, les jambes, le souffle. Peu à peu l'air frais de la nuit me rassérène, il faisait étouffant là où j'étais. Là où je ne suis plus.

Je replie les jambes et pivote sur une fesse, je pose mes pieds nus sur le plancher raboteux. Mes pieds, mes genoux, mes cuisses. Mon ventre, mes mains. Mes cheveux moites. C'est fini. Je suis moi, à nouveau. Moi de maintenant. Celle qui dort dans la mansarde minuscule baignée de lune, celle qui a laissé tout ça derrière elle il y a très longtemps. Une adulte, plus une enfant. Les preuves sous mes yeux, elle n'avait pas encore de seins, la Djaya de mon rêve, et le bas de son ventre était nu.

...baigné de sang...

Je me lève brusquement et je vais m'appuyer au bord de la fenêtre ouverte, dans l'air froid et la lune, frissonnante. Je ne veux plus y penser. C'est loin, c'est fini, bordel de merde, oublié depuis longtemps ! Oublié...
Non.
Jamais oublié.
Les rêves...
Ils refusent que j'oublie.
Ces deux morts, mes deux premiers.
Ils me suivent.

Je me passe la main sur le visage, dans les cheveux, appuyée contre le bois gauchi de l'encadrement de fenêtre. Je l'aime bien cette fenêtre en chien-assis, elle surplombe la place de très haut, on y voit les toits de LoneDonne sous la lune.

Je m'assieds au bord de la fenêtre et y pose un pied, laissant traîner mon autre jambe à l'intérieur, et je laisse l'air me rafraîchir, la lune me laver. Je ferme les yeux et j'essaie de chasser les images du rêve en pensant à des fleurs, à des collines vertes et doucement ondulées, à des ruisseaux chantants. A toute une beauté verte qui ne serait qu'à moi, une beauté déserte et sans risque, sans danger, sans haine.
Mais cette fois le rêve est le plus fort...
Je courbe la tête...

Sujet: Re: Cauchemar Ven 27 Fév - 1:33

J'ai essayé d'oublier, tellement essayé...
Mais comment oublier ça ?
Comment oublier les rires et les grimaces, la souffrance et la honte, la solitude atroce, quand tout ça guide encore ma vie, maintenant ? Toute ma peur et ma haine... Tout cet isolement féroce, le seul moyen d'être sûre que jamais, jamais plus personne ne me fera ça. Que je suis maîtresse de ma vie et plus jamais le jouet de personne...

La vague de haine est puissante, elle me soulève le coeur, le dégoût me tord la bouche. Les porcs. Tous des porcs, autant qu'ils sont. Des porcs bavants et ahanants.

...leurs visages, je me souviens de chacun d'eau dans la lumière faible et oblique de la veilleuse...
.. ils grimaçaient leur plaisir immonde, et leur grimace était encore déformée par l'eau dans mes yeux...
... les derniers visages sont les plus clairs. Je ne pleurais plus...

Dans le rêve je suis toute nue et j'ai froid. Je serre la poupée contre moi, je cours. Mais il me poursuit et je sais qu'il me rattrapera et me la prendra, il est si grand, si fort, tellement plus fort que moi. Il me coince dans un angle et m'arrache la poupée, je pleure et je supplie qu'on me la rende. Il la tient par un pied et lui plante un couteau entre les jambes. Et la poupée saigne.

... le tout dernier est si clair dans ma mémoire...
... un visage doux et vieux, un visage de grand-père, même que c'est comme ça que je l'appelais avant...
... mais il était comme les autres, juste plus doux, plus gentil...
... le même sourire que quand il m'appelait pour m'offrir un bonbon ou un petit cadeau...
... mon oncle lui parlait avec beaucoup de respect, les autres aussi, tous les autres hommes qui venaient chez mon oncle avec leurs chapeaux et leur beau costume...
... parfois mon oncle leur donnait de l'or et ils partaient. Parfois il n'avait pas d'or. Et alors...
... mais pas le grand-père, lui, jamais, il était gentil, je n'aurais jamais cru...
... jamais cru qu'il attendait seulement que je sois plus grande...

Quand mon oncle me rend la poupée dans le rêve, elle est déchirée et fichue, et je pleure. Alors je l'écrase avec une pierre, j'écrase son visage qui se brise, je creuse un trou et je l'enterre dedans. Et puis j'entends des pas et mon oncle est de nouveau là, avec son gros ventre dans un costume neuf et son sourire de crapaud, et il me tend une nouvelle poupée, plus jolie. Et moi je hurle et je pleure plus encore, parce qu'à chaque fois il revient plus tard, la reprendre et la déchirer.

... ce dernier visage me reste, avec son expression surprise...
... oui, il n'avait pas prévu pour le couteau...
... je me souviens l'avoir planté dans son dos, son dos tout lisse de grand-père...
... plus tard le même couteau a tracé une autre sourire de crapaud dans la gorge de l'oncle...
... et puis la nuit, le froid, la peur...
... des années entières...

Des années entières.
Mais le souvenir refuse de s'effacer, la haine refuse de se ternir. Tous je les hais, des porcs, ceux qui achètent les filles comme ceux qui les vendent, comme ceux qui croient qu'elles sont toujours à vendre et que seul diffère le prix... une fleur, un bijou, un mot élégant... Pas un seul qui n'ait fait la preuve qu'ils sont tous pareil... Tous des porcs haletants qui rampaient sur le corps d'une fillette, tous des porcs qui donnaient la clé de sa chambre quand ils n'avaient pas l'argent pour la "protection". Son regard fuyant... J'ai aimé le son de l'air filant par ta gorge tranchée.

Et toi, que je hais le plus, toi le grand-père qui me souriait. Tu envoyais les hommes, ceux qui faisaient le sale boulot. Si j'avais compris ça plus tôt... Jamais je n'aurais pensé à toi quand je pleurais tassée en boule dans un angle de murs, le ventre meurtri et l'âme souillée, comme à une main douce qui me caresserait les cheveux pour me consoler. Jamais je ne t'aurais fait confiance.

Faire confiance.
Plus jamais, à personne.
C'est le seul moyen.

Je ne dormirai plus cette nuit.
Autant partir en chasse.
M'habiller rapidement de gris sombre, cacher mes cheveux sous un bonnet noir, une dague, un sac, ces bottines souples et silencieuses.
Me glisser par la fenêtre, la seule issue, cette vieille maison n'a plus d'escalier depuis longtemps.
Et descendre de corniche en balcon, de balcon en moulure, poser le pied au sol et filer dans l'ombre.
Trouver ceux qui rient trop fort, et faire rire leur gorge par une entaille qui saigne.
Tout ce qu'ils méritent, ces porcs.